Catherine Fondimare

Le corps du sacré !

Nous parlerons cette année du corps du sacré comme certains parlent du corps du délit… Et en effet, notre propos va essayer de jouer un peu les trouble-fêtes pour torpiller les idées confuses et parfois malheureuses qui hantent la notion de sacré. Ainsi, cette deuxième année va reprendre, là où nous l’avions laissé, notre cheminement vers le sacré. L’an passé notre objet avait consisté à nous demander ce qu’était le sacré en cherchant à l’identifier à partir de ses différentes manifestations. Nous en avions conclu à l’observation suivante : le sacré n’est pas quelque chose mais un cheminement qui conduit à transformer celui qui l’expérimente. D’où la nécessité d’une mise en mouvement intérieur du sujet par une expérience esthétique. Le sacré surgit alors comme un voyage immobile où le sujet descend dans ses propres profondeurs intérieures sans être trop sûr de ce qu’il y découvrira ou n’y découvrira pas… Mais cet ébranlement du certain, de l’ordinaire, du profane induit la nécessité du corps et d’un lieu.

Ce festival, comme une évidence, a fait surgir la nécessité de penser une présence collective pour que quelque chose se produise comme détonateur de cet avènement du sacré. Comme une naissance ou un accouchement, le sacré nécessite la réunion de corps, de voix, d’instruments pour qu’il puisse voir le jour… Réfléchissons alors ce paradoxe. D’expérience mystique ou réputée telle, nous transférons le sacré non plus au domaine de la contemplation mais à celui du partage. Mais ce paradoxe ne cesse d’en produire d’autres : si le sacré est assimilé à la légèreté de la spiritualité, force est de constater que cette légèreté n’est accessible que par la gravité de la présence de choses bien là ! L’église, la présence de musiciens, de voix, de chants, de battements de mains… Qu’est-ce que nous apprend cette nécessité de passer par la matérialité pour tenter de comprendre ce qui est réputé incarner la légèreté du spirituel ?

C’est à ce moment précis que le sacré apparaît comme dépendant et tributaire du corps. Mais ce corps n’est pas individuel, ni même collectif comme addition des personnes. Il est un lieu sans espace géographique. Et, en effet, n’est-ce pas la définition de la voix ? Qui oserait affirmer qu’une voix n’a pas de dimension, de profondeur ou même de gravité ! Et pourtant, on serait bien en peine de la trouver en la situant. C’est comme si le sacré devait, pour voir le jour, pouvoir compter sur des conditions matérielles minimales sans que celles-ci ne soient suffisantes pour en garantir sa naissance…D’où son mystère et son secret aussi. Les Grecs l’identifient au culte du Dieu Dionysos mais la lyre d’Apollon remplit aussi son office dans les fêtes sacrées, sa lumière y devient alors aveuglante comme la nuit noire.

Donc sans corps pas d’expérience du sacré mais le corps du sacré n’est ni transparent, ni seulement lumineux. Il est le nom d’une profonde ambigüité qui s’invente et s’éprouve comme expérience mais ne se décrète pas. On ne le commande pas ! C’est cette magie qui transforme une chose en son contraire que le sacré semble nous faire rechercher…

Comme l’an passé notre fil rouge sera celui de la mythologie et cette année nous suivrons plus particulièrement l’enseignement d’Apulée, un romancier philosophe du IIe siècle de notre ère, qui dans ses Métamorphoses fait le récit de la légende d’Eros et de Psyché.
Il nous contera comment le désir naît de l’obscurité et comment la conscience ne peut s’y résoudre. La tension entre l’ombre et la lumière, entre le corps et l’esprit serait précisément l’expression que le sentiment du sacré chercherait à exprimer. Mais pas seulement. Il cherche aussi à l’apaiser… et peut-être est-ce cela qui en passe par la nécessité d’un au-delà pour fuir le corps objet du délit ?

A nous d’enquêter sur ce mystère…